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SOUS LE SIGNE DU SERPENT

Ou « Comment ils la font et Comment ils la racontent » Samivel

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L’hiver perdure et les AN en ces temps incertains sont plus enclins à rester au coin du feu , qu’à s’adonner aux activités de pleine nature.

                Pourtant, malgré les frimas, cinq d’entre eux vont s’efforcer en ce dimanche 11 avril de porter haut le renom du club , et surtout de recaler le programma de rando/escalade, mis à mal par un printemps tardif , largement soumis aux giboulées de Mars qui s’éternisent encore en cette mi avril.

                De quoi s’agit il en fait ?

Tout simplement de dévoyer une partie de la prestigieuse traversée « L’Oule en Vau » ( dite « traversée des écureuils » , traversée de la falaise , ouverte il y bien des lunes, le 31 octobre 1937 par Gisèle et Georges Abert, J . Bouisson, R. Guillot, J. Meunier et G . Reymond.), pour lui adjoindre une, non moins renommée  voie de l’Eperon des Chênes , sur la rive gauche du Vallon d’En vau ; j’ai nommé : La voie Save dite de La Serpentine, ouverte, elle, en 1936 , par R. Artru et l’incontournable Baron, Jean Save de Beaurecueil.

                Cette prestation  sera donc d’un très haut niveau de difficultés , tant glaciaires que rocheuses, puisque les topos de référence des experts incontestés que sont le Dr Hiely et Notre ami Alex Lucchési , y cotent des passages pouvant atteindre le quatrième degré inférieur !

                Le deuxième objectif fixé à l’entreprise , est de rester dans la symbolique du « Serpent » .

Ainsi, depuis près de 7 ans que je préside aux destinées de la section « expéditions rando/escalade » ( les médias et autres tour-operators parleraient volontiers de manière dithyrambique de randonnées du vertige , terme que notre modestie réfute pour lui préférer une terminologie oh combien moins valorisante !), j’essaie de renouveler mon stock de sorties, afin que les plus anciens aient encore le sentiment de la nouveauté, de l’engagement total au sein d’une nature vierge riche de tous ses dangers objectifs. C’est pourquoi, je mêle à l’envi, divers itinéraires de très haute difficulté ( à l’endroit et à l’envers ), sans toujours réussir des greffes homogènes et harmonieuses. Dans le cas d’espèce, « Le trou du Serpent » et « La serpentine » ont le mérite d’une évidente homonymie, et permettent un enchaînement qui peut apparaître logique pour le profane de ces contrées sauvages.

                Deux jours avant notre départ , seuls Gérard le Phocéen ( connu par le petit milieu expéditionnaire, pour son engagement total , sa force et sa résistance proverbiales), et Gérard l’Aixois ( toute nouvelle recrue dont nous ne connaissons rien de son expérience en très haute montagne), se sont manifestés  pour se joindre à cette expédition en terre inconnue. Raymond, Marie, Rita et Maurice , mes pratiques habituelles ont tous décliné leur participation , prétextant, qui une grande fatigue, qui les risques inhérents à cette fin d’un rigoureux hiver, et plus prosaïquement de très futiles et oiseuses raisons familiales .

                Plus tardivement, Mireille puis Alain , notre président, me font l’honneur de se joindre à nous , pour nous aider à affronter les énormes difficultés du parcours , espérant sans doute , pour leur propre renommée ,quelques retombées personnelles d’une réussite éventuelle de cette ambitieuse et redoutable réalisation.

                A 9 H , le parking se Saint Jean est désert ; les randonneurs l’ont quitté dès 8 h 30 sous la conduite d’André qui les accompagne vers la sainte Victoire , située très au nord de la contrée sauvage qui nous attend. J’y récupère deux des expéditionnaires, Mireille et Alain dotés des impédimentas indispensables au succès de notre projet.

                Sacs et matériels techniques enfin chargés, nous faisons route à l’Est-Nord-Est , pour rejoindre les Gérards qui nous attendent au camp de base de La Gardiole.

                Il nous faut répartir le matériel collectif , car aucun porteur ni sherpa n’a été prévu afin d’alléger le coût de l’expéditions et en mon for intérieur, je plains celui ou celle à qui échoit l’énorme corde à double , destinée à équiper en corde fixe l’énorme cascade de glace qui défend le socle des « petites escalades » .

                Contrairement aux expéditions traditionnelles qui selon les canons du genre montent interminablement vers les sommets enneigés , nous, nous descendons , sur une vague trace , d’abord bitumée, puis bétonnée qui se poursuit enfin sur une piégeuse sente non revêtue….. :angoisse !

                Un cheminement difficile, complexe, incertain, nous conduit malgré tout vers la mer ( autre élément en général absent dans ce type d’exploration ) et il faut toute l’attention du meneur pour ne pas s’égarer vers les différentes impasses qui nous tendent leurs chausse-trappes.

                Au fond du vallon austère , inquiétant, un petit frisson d’anxiété nous étreint. Mais, bientôt, sur un bloc erratique amené là par les paléo-glaciers du Wurm , une rune gravée et rehaussée d’un pigment bleuté indique la voie. Il nous faut maintenant monter !

                Avant d’attaquer la rude ascension des premiers contreforts, je mets de l’ordre dans mon chargement afin de prévenir toute perte intempestive de matériel dont l’absence pourrait être cruciale ; là haut dans la paroi encore vierge mais que nous avons la ferme intention de déflorer aujourd’hui si les conditions météo nous le permettent.

                Au rythme lent  de montagnards chevronnés , nous affrontons les colossales pentes d’éboulis croulants, les lacets éreintants et , insensiblement nous nous élevons au dessus du sombre vallon qui va se perdre, loin , là bas vers les flots rugissants et redoutés des quarantièmes nord.

                Sans la moindre halte car le beau temps menace, suant, soufflant, nous progressons en direction d’une grande brèche claire qui sépare deux monstrueux promontoires : Castevieil et « Grandes escalades » précise notre  vielle carte locale !

                Après cette longue et pénible approche , les organismes sont éprouvés ; nous nous affalons au pied de la paroi où une énorme déception nous attend : Malgré toutes les précautions prises lors de nos préparatifs , notre indéfectible discrétion , nous ne sommes pas seuls !

Déjà au dessus de nos têtes nos précurseurs s’agitent et échangent de gutturales informations : C’est la cata !

Un faible espoir subsiste ; peut être envisagent-ils de rejoindre le belvédère D’En Vau par une voie mineure ?

                Hélas nos craintes sont confirmées ; par un contournement par le haut , ils progressent maintenant vers le « Trou du serpent », passage clé permettant seul, l’accès à la titanesque paroi de L’Oule.

                Notre précipitation aurait du nous conduire à évoluer jusque là en solo , mais je sais que ces rares moments d’incertitude concentrent les plus grands dangers et il n’est pas question de compromettre un projet préparé  depuis de si longues années par une prise de risque inconsidérée. : nous nous encordons .

Gérard et Alain se livrent même , à diverses incantations, sacrifices et offrandes , pour conjurer la vengeance éventuelle du « serpent à plumes » dont nous allons profaner la demeure. Ils réussissent même très spontanément  à créer avec leur corde un nœud de serpents qui devrait nous protéger tout au long de notre expédition.

                Sans équiper cette première longueur , nous nous précipitons pour arriver au fameux passage avant nos potentiels adversaires. Hélas c’est plutôt à une arrivée groupée à laquelle nous assistons.

Dans ce type de circonstance , à l’instar des Bonatti, des Mazaud, les …., la bonne attitude est de regrouper les forces en présence et de faire cordée commune : à 8 tu parles d’une cordée !

                Mais je m’égare en digressions oiseuses, il me faut pour la suite de ce rapport être moins disert et donc reprendre les fondamentaux du genre : être bref aux dépends de la concision et de la véracité des faits.

                En reptation laborieuse nous franchissons l’obscur boyau sans y rencontrer le moindre ophidien et nous atteignons la face sud est qui domine   le golfe de l’Oule ( le chaudron , la marmite en provençal, diraient des mariniers commentateurs de moi connus !).

                Nous pouvons attaquer l’enchaînement des grands rappels qui se déploient sur ce versant déjà ensoleillé. Nos nouveaux compagnons qui assurent nos arrières accepteront enfin de nous rendre nos cordes , au fond du ravin boisé qui domine les eaux du grand fjord où la débâcle des glaces a déjà commencé. Un promène couillons effronté tente de gagner les eaux libres . De là haut nous percevons quelques échanges radio alarmants …… « l’Oule…..le chaudron….la marmite….provençal…..mayday….mayday…. ».

                Dans le talus terreux, boulant, il nous faut remonter, traverser au mieux en terrain mixte sans piolet ni crampons , en technique alpine, vers un éperon escarpé sur lequel nous renouons avec les antiques balises noires laissées là par nos lointains prédécesseurs. Au sommet du promontoire , le cheminement débouche en plein vide sur un couloir dont les parois abruptes se précipitent dangereusement vers le mer. Seules, tendues en implorations désespérées, les branches noueuses d’un vieux pin décharné en cours de fossilisation , constituent un espoir de franchissement du vide impressionnant  qui nous sépare de la paroi d’en face et d’un espoir d’issue favorable à notre périple.

La sauvagerie du lieu est hélas tempérée par la présence d’une corde tendue au dessus de l’abîme , dispositif qui va donner du cœur au ventre des plus impressionnés par ce passage aérien .
En premier je me lance ( le mot est peut être un peu fort..) ; je me propulse donc à ripe cul sur le tronc salvateur qui en quelques sauriennes reptations, va me conduire en lieu sûr , sur la rive gauche du précipice.

Un à un , mes compagnons me rejoignent , chacun improvisant ses appuis ? conscient du vide qui se creuse sous leurs fessiers.

                Il ne reste plus qu’à lover les cordes un tantinet récalcitrantes, replier le matériel et à rejoindre le début de la « traversée Ramond » puis la base du « Trou du canon » , seule issue vers la brèche d’En Vau où nous allons pouvoir nous restaurer : pemmican, singe en boite et biscuits de mer sont au menu.

                Sur ce versant est , nous allons pouvoir constater avec anxiété que les conditions climatiques sont en train de se détériorer. Les ravoures annoncées pour ce soir menacent déjà notre expédition de précipitations inquiétantes. Il nous faut renoncer à la remontée de la rude « cheminée de Castevieil » donnant accès au plateau éponyme qui descend en pente douce vers la «Grande Arche ». Il faut fuir !

                Face à nous, la paroi grise des « Sirènes » nous oppose sa vertigineuse verticalité et là, sur la gauche « Le Pouce » détaché de la paroi s’élève droit dans un ciel gris et menaçant. Au milieu « l’Eperon des Chênes » s’élance à la droite de « La Grande Aiguille » et son sommet se perd dans les sombres nuées. C’est là que nous devons passer.

                Le temps presse et il nous faut débarouler vers le fond du vallon , remonter au col de « La Grande Aiguille » et attaquer la directe de « La Serpentine » ( directe,…..Serpentine… voilà qui semble bien contradictoire !). Seul le Président, fort de sa considérable expérience , reste confiant.

                L’ascension débute par un éperon bien individualisé, sur lequel il faut négocier les passages avec précaution , tant les blocs instables menacent d’obéir à la loi de la gravatation de Newton , pour se précipiter sur les valeureux et infortunés seconds qui attendent leur destin sur un relais précaire. Les protections sont aléatoires et à défaut de pitonner, il nous faut user de coinceurs peu fiables , pour se hisser précautionneusement vers une étroite vire herbeuse qui coupe la formidable face, et conduit, sur la droite au pied d’une immense tour ( ma vieille expérience l’estime à près de 7 mètres !).

                Pour accéder à son sommet je dois me débattre, me battre même , avec une fissure-diédre , que nos prédécesseurs n’ont pas hésité à coter en IV-. Sur ce sommet exigu je peux établir un solide relais.

Au dessous de moi, la corde décrit une baïonnette serrée qui rend le tirage de corde surhumain. Pour agrémenter la chose, Gérard le Phocéen , va s’ingénier à constituer une œuvre de matelotage à faire pâlir le marin le plus chevronné. C’est Gérard, l’Aixois qui va devoir se dépatouiller de ce piège à néophyte . Avec patience et résignation, il s’y colle , dévidant une pelote, un palangre de cordes dégaines et mousquetons particulièrement récalcitrant.

                Ensuite il nous faut renoncer à la progression verticale, défendue par un bastion de dalles lisses et surplombantes cela sans parler de la glace et du verglas qui colmatent la moindre prise. En traversée sur la gauche , le cheminement exposé passe sous une immense grotte noirâtre , franchit quelques ressauts pour buter enfin sous un surplomb où une terrasse exigüe nous accorde le répis d’un relais précaire.

                Sans attendre il me faut franchir l’athlétique surplomb( III+),  là je m’agrippe une ou deux minutes , le temps que Mireille , mon assureur, démêle un écheveau de corde facétieux. Tétanisé, je progresse en traversée d’abord puis dans une belle dalle bien sculptée, me rétablis sur une écaille et rejoins le sommet d’une petite tour qui domine le cheminement.

De là j’aperçois le sommet qui se perd dans les nuages qui ont envahi tout l’espace.

                Sur ce monolithe isolé dans les brumes nous voilà enfin tous réunis . Nous pouvons attaquer le longueur de sortie qui nous oppose les dernières défense de la montagne, mais qui va enfin céder à nos assauts.

                Sous la crête, au creux d’un talus d’éboulis, nous trions le matériel et lovons les cordes.

Le retour va s’effectuer en bon ordre vers l’AJ de La Fontasse, puis  un petit sentier , de moi seul connu,  nous ramène saints et saufs au camp de base au col de La Gardiole .

 

Gaston

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